Il fut le grand absent de la table ronde du Cinéma Novo (« Cahiers », n°176). Absence, abstention plutôt, sur laquelle il s’explique um peu plus loin dans notre entretien. Déjá connu de nous cependant par « Os cafajestes » sorti à la sauvette ... au Midi-Minuit. A propôs de son second long métrage, « Os Fuzis », dont il disait qu’il avait influencé le tempo de « L’Homme au crâne rasé », André Delvaux, pourtant peu enclin aux formules péremptoires, déclarait à Pesaro: « C’est une des ouevres les plus mûres que j’aie vues. Je serais tenté de dire que c’est le meilleur film d’Eisenstein... ».
Sur ce film, noire explosion lyrique, poème du torride, marqué aux fers de la faim et de la misère, chant d’une terre que craquèlent le manque et la sécheresse, nous aurons l’occasion de revenir bientôt plus largement. Page 51, le Petit Littré donne come exemple d’allitératon (notons que le titre “Os Fuzis” joue, lui, habilement de la rhétorique, – par lequel il faut entendre aussi bien les armes dans leur matérialité que les soldats qui em détiennent les pouvoirs): « Qui terre a, guerre a ». – J.N.
Cahiers: Vous êtes né dans la colonie portugaise du Mozambique em 1931. Comment e quando êtes-vous allé au Brésil?
Ruy Guerra: Je n’y suis allé qu’em 1958 après avoir fait mês études ici à l’I.D.H.E.C. de 52 à 54. J’avais fait auparavant au Mozambique quelques courts métrages em huit et seize millimètres et comme il n’y a pas là-bas de production cinématographiques, je suis venu à Paris. J’ai été assistant de Rouquier pour « S.O.S. Noronha » et surtout acteur. J’ai également été assistant-stagiaire de Delannoy, alors que j’étais encore à l’I.D.H.E.C., et assistant-opérateur d’um court métrage.
Cahiers: Aviez-vous vu beaucoup film à l’époque?
Guerra: Très peu films français et de films italiens. Mais em revanche, beaucoup de films américains et presque tous les films anglais.
Cahiers: Est-ce que certains films vous ont plus particulièrement donné envie de faire du cinéma?
Guerra: C’est toujours très difficile de dissocier les éléments qui peuvent vous donner envie de faire quelque chose. Cependant certains films m’ont alors beaucoup frappé, em particulier ceux du néo-réalisme italien et certains films américains. J n’aimais pas beaucoup, par contre, le cinema anglais.
Cahiers: Noel Burch, qui était à la même promotion I.D.H.E.C. que vous, nous a dit que vous aviez alors réalisé um film qui l’avait beaucoup frappé, et dans lequel on trouvait déjá presque tous les thème de vos deux longs métrages.
Guerra: C’est vrai. J’ai d’ailleurs retourné dans « Les Fusils » un petit morceau du film qui m’intéressait. Les militaires et l’anthropophagie m’intéresent, deux thème qui vont bien ensemble. J’avais fait à I.D.H.E.C. une adaptation d’un roman de Elio Vittorini « Les Hommes e les autres ». Bien sûr, en dix minutes, je ne pouvais pas rendre tous l’ambience de la Résistance italienne, et j’ai filmé un scène oú je pensais pouvoir rendre le climat de violance propre à la guerre. C’étaient des soldats qui gardaient des otages, il y avait des morts, et on voyait les soldats manger, parler de choses anodines, de leurs históires d’amour, pendant que les gens regardent.
Cahiers: C’est vous-même qui aviez fait des décors...
Guerra: Oui, c’était un film que j’avais beaucoup travaillé. A cette époque je pensais qu’il fallait tout prèvoir , élaborer, organiser de près. J’avais dessiné chaque plan, le trajet des travellings , les déplacements de personnages. Tout le film était sur le papier avant le tournage. Je crois que ça se voyait un peu d’ailleurs, et que le film avait perdu en spontanéité. J’ai beaucoup évolué depuis, et je crois que ce qu’il faut. C’est penser le film fortement et longtemps avant, mais qu’il n’est pas nécessaire de le dessiner.
Le film avait deux parties: dans la première, on présentait les otages et les soldats. Il ya avait dialogue entre eux, et, à un moment, dans la foule, quelqu’un traitait les soldats d’anthropophages. L’officier se levait, interrogeait les gens pour savoir qui avait crié cela. Seulement, à l’époque, on n’avait pas la possibilité de faire de mixage, il fallait choisir entre dialogue, commentaire et musique, et comme je pensais que l’impression de violance de dépendait pas tellement du dialogue, je l’ai finalementt supprimé et remplacé par un solo de batterie. On voyait donc les bien que je dèteste ce mort.
Cahiers: Walter Hugo Khouri nous a dit une fois à Cannes qu’il avait pris la défense du film dans un journal et qu’il s’était mis mal avec certains cinéastes brésiliens à cause de cela...
Guerra: C’est vrai, les critiques on été quand même très partagés. Le fim existait comme « événement », mais ila été aussi fortement attaqué comme tel. L’Église, les Ligues de bonnes femmes lui sont tombées dessus. Je suis le seul cinéaste brésilien à ne pas pouvoir par exemple me montrer à la faculté catholique de Droit. J’étais le répresentant d’une morale que pas mal gens réprouvent violemment.
Dans certains journaux, des critiques on demandé l’intervention des forces armées. Le fim a été retiré de l’affiche au bout de dix jours, et c’est seulement depuis qu’il y a un nouveau gouverneur à Rio qu’il peut être normalement programmé. Il y a un an aoncore des femmes ont fait des marches dans les rues en protestant contre Norma Benguell, qui devait touner un film à Minas Gerais, endroit hautement réactionnaire. Khouri, lui, est de São Paulo, et depuis toujours il existe une vieille rivalité entre cette ville er Rio en ce qui concerne le cinéma. C’est à São Paulo que naisseaient les premiers mouvements opposés au cinéma commercial de Rio. Beaucoup de gens là-bas, ne voulaient pas admettre mon film parce que c’était admettre l’existance de Rio dans le panorama cinématographique du pays. Khouri s’est donc crée pas mal d’ennuis à cause de son attitude. Il ne voyait pas dns « Os cafajestes »un film fait dans le but de provoquer le cinéma de São Paulo, comme on le préndait, et il l’adèfendu.
Cahiers: Quand on envisage le cinémma brésilien , et même parfois quand on parle avec des représentants du « Cinema Novo », on a l’impression qu’il existe là-bas des groupes, des rivalités et par mal de terrorisme. Vous, par exemple, vous paraissez un peu tenu à l’écart des autres...
Guerra: Au départ, j’appartenais tout à fait au groupe, j’étais même dans le noyau de gens qui ont contribué à le fonder. Au moment des « Cafajestes », Glauber Rocha qui était à Bahia est venhu à Rio, des tas de projets ont commencé à naître, nous travaillons tous ensemble...
Il y avait Carlos Diegues, Leon Hirszman, les gens du Centre Populaire de culture. Quant à Nelson Pereira dos Santos, lui, il avait déjá rélisé des films, mais il était avec nous. À São Paulo. Il u avait Anselmo Duarte, et Khouri qui sont toujors restés à part. C’est seulement quand je suis rentré du tournage des « Fusils » que se sont posés de petits probèmes. Je sentais que quelque choses n’allait plus sans m’expliquer quoi. De petites rivalités individuelles ont commencé à jouer des ragots ont été colportés à l’un et à l’autre, mais toujoursà l’échelle individuelle, du moins à ce moment-là. C’est um peu près que les choses ont cassé nettement. Carlos Lacerda, qui était gouverneur à l’époque, a decreté une loi d’aide pour le cinéma. De façon très subtile et intelligente, car la loi était finalement très discrétionnaire et faciste au fond. Elle était exactement celle du cinéma espagnol. Pour se rallier les cinéastes brésiliens , il a commencé à distribuer des prix en espèces aux uns et aux autres, mais le principes reatait très faux. Tout le monde maintenant s’en est rendu compte, mais j’avais tout de suite tiqué. Ce que nous voulions , c’était « l’additionnel », c’est-à-dire un pourcentage sur les recettes, pas cette libéralité arbitraire. Alorns, et immédiatement, j’ai eu tout le monde contre moi. Le seul qui je gardais des contacts amicaux était Léon Hirszman. Je susi devenu un peu l’homme à abattre. Le jour où j’ai présenté « Les fusils » à une séance spéciale, les gens de la « gauche pensante » du cinéma et du thèâtre, exception faite de ceux du groupe thàêtrel de São Paulo, m’ont violemment attaqué. A partir de là, tout a été fini. Et quand les gens du groupe, qui sont très actifs, et là je les approuve totalement, se manifestent d’une façon ou d’une autre – conférences, interviews, tables rondes – tout le monde est là, même ceux qui n’ont encore pas fait de films sauf moi. Ce qui ne les empêches pas de venir me faire toujours de grandes déclarations d’amour er de fidélité, d’essayer de m’amadouer, et de me reprocher « mon » attitude. Qu’ils aient leur avis, c’est leur droit, mais je trouve répugnant ce genre d’attitude. Chaque fois que je quitte le Brésil, on se pprécipite vers moi en me demandant si je pars pour de bon, ils en ont très envie.
Cahiers: Que s’est-il passé au moment de la Table Ronde (In « Cahiers » n°176), à lequelle vous n’avez pas participé?
Guerra: Marcorelle m’en avait parlé, mais je n’ai pas voulu y aller. Elles se passait chez Saraceni et je savais comment les choses allaient tourner. Toute la petite cuisine est à usage purement intérieur. Tout ce que j’aurais pu dire aurait été gommé, et je ne voyais pas l’intèrêt d’y aller.
Cahiers: Quels sont les films du groupe que vous trouvez intéressants?
Guerra: Le film de Glauber Richa « Le Dieu noir e le diable blond » me paraît être le meilleur. Glauber est un type très bien, mais el se laisse influencer par ceux qui créent autour de lui le mythe du «génie ». «Vias Secas » aussi est un très bon film, et Nelson est un type très honnête. Toujours en marge des différends. Hirszman est très intelligent. Direct, mais je n’aime pas beaucoup « La Morte ».
Cahiers: Quelles ont été les réactions devant votre deuxième film « Les Fusils » ?
Guerra: Il y a d’abord eu la séance spéciale dont je vous ai parlé, où le film a été d ;emoli, sauf par le critique Alex Vainy, puis il est sorti, mais coupé. J’avais un accord avec le producteur, selon lequel il puvait faire de qu’il voulait du film au Brésil, à condition que je ne le signe pas. La plupart des critiques en ont profité pour se refuser à parler d’un film non signé. Dans l’ensemble. Il est passé inaperçu. Par contre, à São Paulo, je l’ai projeté devant des étudiants et à la Cinématèque , et ils l’ont beaucoup aimé.
Cahiers: Comment en est-il venu à représenter le Brésil au Festival de Berlin en 1963, où Doniol-Valcroze l’avait vu et aimé (cf « Cahiers » n°158)?
Guerra: C’est le parfait exemple de contradiction brésilienne. Le film avait pris beaucoup de retard dans son montage : il y a peu de salles et Glauber devait finir le sien. Il était prêt au moment où le coup d’Etat a eu lieu. Avant cela son scénarioavait été très attaqué, on lui reprochait d’être réactionnaire parque qu’il s’en prenait à une armée qui était censée être celle de la légalité. Quand le coup d’Etat s’est fait, la Commission de Sélection, dont les membres n’ont pas été changés tout de suite, l’a vite choisi pour Berlin. Sur ce, le Comité de sécurité a demandé à le voir, parce que le bruit avait couru qu’à des cinéastes.