Ruy Guerra est un nom connu de ceux qui sont intéressés par le cinéma d ´auteur. A l’époque du renouveau du “Cinema Novo” brésilien, dans les années 1960, il atterri à Rio venant de Paris, où il avait fait une formation de cinéma. Aujourd’hui, il est un des mythes survivants du groupe, un des plus célèbres. Il a été le premier à filmer hors du Brésil. Ruy Guerra est arrivé à Rio de Janeiro en 1958. Depuis cette date, cette ville est devenue son son refuge.Dans ses ses lettres à son père, son frère et son meilleur ami, il évoquait souvent son souhait de se rendre au Brésil.
Aujourd’hui- Août -2014- à l’âge de 83 ans , il a toujours une énergie débordante. Beaucoup disent que cette force lui vient de son pays d`origine, le Mozambique, aux bords de l’océan Indien . Il est le fils d´un couple portugais venu tenter leur chance dans cette colonie portugaise. Très jeune Ruy Guerra était passionné d’écriture et de cinéma. Au cours de la seconde moitié des années 1940, la presse publie plusieurs de ses contes, articles et poèmes. Aujourd’hui il dit que sa vocation - constamment frustré – était de devenir écrivain, et il réaffirme son désir d’écrire un roman. Depuis l’adolescence Ruy Guerra considère le cinéma comme une façon de penser les relations politiques et sociales. Lourenço Marques était le port le plus important en Afrique du Sud. À 16 ans, avec un appareil photo 8 mm, emprunté à un ami, Ruy Guerra filme le Pier Gorjão : la réalité du port, la vie des travailleurs noirs, ces images lui rappelaient “les camps de concentration”. Un analyste dira sur son œuvre , même comme un amateur , Ruy Guerra “a flirté avec la critique sociale”.
Photo de Ruy Guerra au Mozambique
Dans le foyer parental et le Lycée Salazar, l´ école publique qu´il a fréquenté, Ruy Guerra a reçu une éducation européenne-portugaise. Lui et ses collègues ont été formés par des enseignants “bannis du Portugal par la dictature”, qui ont su développé chez les élèves, le goût de la lecture et la pensée critique. Ruy Guerra faisait partie du groupe qui s´est révolté contre le statu quo. Il refusait la production culturelle portugaise de la dictature de Salazar. Tout ce qui provenait du Brésil était très important, non seulement parce que le Brésil était une ancienne colonie portugaise qui avait acquis son indépendance, mais à cause des similitudes avec la culture et de l’espace brésilien (climat, présence des noirs, des arômes et des saveurs ...). La littérature et les magazines ont été souvent censurés, ils circulaient « sous la table ». Il a fait parti d´une génération du Mozambique appelée la «diaspora». Dans une interview, Ruy Guerra dit : «Certains d’entre nous ont fini par constituer une génération qui dans sa majorité à quitté le pays et ce sont distingués dans les arts, dans la philosophie (...) en raison du contexte politique et social dans lequel nous sommes nés et dans le quel nous avons grandis (...) et pas seulement par hasard ou du à des conditions psychologiques individuelles. Une partie de cette génération a utilisé la culture pour se révolter contre le colonialisme et le racisme. Inquiet des rapports de domination et de subordination dans la colonie, Ruy Guerra a subi des interrogatoires et des arrestations. Un procès l’a empêchera de retourner au Portugal pendant quelques années.
A 20 ans, il vient à Paris faire des études de cinéma. Il y arrive dans une période très importante du point de vue cinématographique : des jeunes cinéastes tentaient d’imposer le “cinéma d’auteur” contre la grande industrie traditionnelle; les premiers ondulations de la Nouvelle Vague se pointaient.Le mouvement était constitué par de jeunes intellectuels français qui comme lui, un immigré étranger, se sentait très différent: «(la Nouvelle Vague) a toujours eu une position de droite (..) et lui avait une position nettement de gauche un apolitisme très politique, ils ne parlaient jamais de la guerre d’Algérie, des immigrés.
Il a fait des études à l’IDHEC (Institut des Hautes Études Cinématographiques); il était considéré comme un bon élève par ses collègues, plus préparé que d’autres, mais aussi comme un éternel jeune rebelle. Pendant deux ans il a fréquenté un cours au Théâtre National de Paris (TNP).
Dans la capitale française il s´est rapproché des brésiliens qui l ´ont aidé a tenter sa chance dans le Nouveau Monde, ce nouveau monde qu´il espérait atteindre par son enthousiasme et son travail. Il portait dans ses bagages son premier scénario: les Fuzils , íl avait essayé sous différentes formes de le mettre en œuvre en Europe ; finalement ce scénario aura l’ Ours d’argent au Festival de Berlin en 1964.
Groupe du Cinéma Novo dans un bar à Rio de Janeiro
Il dit être né avec le groupe du Cinéma Novo mais pas en lui - malgré les rivalités et les affrontements habituels - il y avait une coopération étroite liée aux films des nouveaux cinéastes. C ´était un cinéma en recherche de l’identité brésilienne: “Nous voulions produire des films qui décrivaient la réalité des gens, leurs conflits politiques et sociaux, et fuir les règles et les dogmes de production de l’esthétique industrielle du cinéma”. Ruy Guerra n ´a jamais utilisé l’art comme une arme de propagande révolutionnaire; sa filmographie ne peut pas être considérée comme didactique. Il faisait partie d’une génération qui, dans les années 1960, voulait changer le monde à travers une société meilleure, une vie...
Il a exercé diverses fonctions liées à la toile (photographe, directeur adjoint, directeur, scénariste, acteur, éditeur, producteur exécutif, directeur artistique ou enseignant).
Pendant cinq ans il a écrit une chronique hebdomadaire pour le journal O Estado de S. Paulo. Il s’est récemment déclaré “un artiste, produit du sous-développement”, obligé à exercer différentes formes d’art pour survivre. Avec les difficultés économiques pour faire des films il a écrit des textes pour les jeunes musiciens de la Zone Sud de Rio, comme Sergio Ricardo, Edu Lobo, Chico Buarque de Holanda, Francis Hime, Carlos Lyra, Luiz Eça et Milton Nascimento. Plus de 100 textes qui ont abandonné les sujets “du petit bateau et de la fleur” de la Bossa Nova pour des thèmes plus forts, avec contenu social. Il a également dirigé des pièces de théâtre. Et il a écrit avec Chico Buarque “Calabar: l’éloge de la trahison”, qui a été interdite par la dictature militaire. Comme beaucoup d’autres, souvent Chico Buarque de Holanda et Ruy Guerra ont eu beaucoup de problèmes avec les textes qu´ils écrivaient.
Souvent classé comme un cinéaste politique, il est très fier que l’on considère comme tel . Depuis son adolescence, il est un homme politique au sens large du mot: il est impliqué dans les problèmes de son temps. Il a dit à plusieurs reprises: «J’ai un regard politique sur la réalité et d’un point de vue culturel. Tout au long de sa vie Ruy Guerra, il a arboré ce positionnement politique avec un grand P, n’ayant jamais été un militant ou membre d’un parti politique. Son discours est celui d’un homme de gauche , ses attitudes de vie, ses expressions dans le domaine artistique et pédagogique également Pour lui toute position esthétique est politique, elle apporte nécessairement une vision du monde, elle a un ensemble de valeurs qu’elle représente, défend ou condamne.
Entre 1960 à 1970, il a travaillé en France à plusieurs reprises dans des films et à la télévision. En 1965, les Cahiers de Cinéma et Positif ont donné une grande importance au Cinéma Novo brésilien. Ruy Guerra a été très proche du groupe des éditeurs de Positif. Les Cahiers ont résumé les thèmes de ses films: la cruauté, la violence, le racisme, le temps qui ne s’arrête jamais ... Selon Ruy Guerra « On me dit que j´ai une sorte d’obsession pour les domaines du pouvoir, pour les mécanismes de répression, que ce soit dans le milieu familial, dans les structures sociales ou du gouvernement ».
La révolution socialiste de la nouvelle République populaire du Mozambique, victorieuse en 1975 sous la direction de Samora Machel, a donné dès son début un rôle fondamental à l ´image dans la construction de l’identité nationale, élément important dans la tentative d’unir plusieurs tribus en une seule nation, dont la culture était basée sur la tradition orale. Poussé par d’anciens collègues du gouvernement, Ruy Guerra a collaboré activement à la création de l’Institut National du Film du Mozambique (INC) et à la formation des cadres pour le cinéma; il a fait venir à Maputo (anciennement Lourenço Marques) de nombreux experts dans diverses activités cinématographiques. Il a vécu profondément l’expérience de l’indépendance et la décolonisation de sa terre natale; ses films africains sont nettement politique.
Sa position à gauche est également claire dans ses relations avec Cuba, où il a vécu pendant certaines périodes. Depuis la création du Festival International du nouveau cinéma latino-américain en 1979, ses films y sont présentés. A partir de 1988, il fait partie de la “Escuela Internacional de Cine y TV de San Antonio de Los Baños”, à 30 kilomètres de La Havane, où il a participé à des projets avec son ami Gabriel Garcia Marquez - Gabo - un des fondateurs de la Escuela. Il a été le cinéaste qui a fait le plus de films inspirés des romans de García Márquez: Erendira, La Fable da la Belle Palomera, Me alquilo para soñar (mini-série pour la télévision espagnole, entièrement tourné à La Havane) et La Mala Hora. A la fin de l’année 1990,il fait un film adapté d’un roman de Chico Buarque, » Embrouille, » ayant comme personnage principal un acteur cubain Jorge Perrugoria et une équipe formée en grande partie par des techniciens cubains.
Ruy Guerra avec Gabriel García Márquez pendant le tournage de Erendira
Les cinéastes brésiliens et latino-américains restent parfois plusieurs années sans filmer, du aux difficultés économiques et parfois en raison de la conjoncture politique. Ruy Guerra a tourné des films de long, moyen et court métrages au Brésil, en France, au Portugal, au Mexique, à Cuba. Il a dit à plusieurs reprises : “Je n ’ai pas tourné tous les films que je voulais, mais je voulais faire tous les films que j’ai tourné.” Au début du XXIème siècle il a été invité à écrire pour le théâtre : il a fait une comédie musicale intitulée Don Quichotte de nulle part, une adaptation de la nature du Nord-Est brésilien.
Il enseigne dans écoles de cinéma à Rio de Janeiro depuis les années 1990. Dans une interview, il a déclaré: «Dans mon premier cours je dis : Si vous venez ici pour le film américain c ‘est facile, nous allons au café et dans une heure je dirai tout ce que vous devez savoir. “(...) Je leur dis que ce n’est pas la peine de perdre deux ans et demi à faire des films comme les américains. Maintenant, si les gars veulent faire un film brésilien, il passera deux ans à l’université et va poursuivre... C’est toute une autre chose: c’ est se lier à la réalité, c ´est savoir qui vous êtes”. Il souligne comme fondamentale “ouvrir les têtes des jeunes à l’acte de penser l’art, l’éducation culturelle (...) pour assumer une responsabilité aussi grande (...) ce moyen d’expression est à mon avis extrêmement vital et important, politiquement et esthétiquement important”.
Sur la position de marché il se positionne clairement: “Les équations de la société sont toutes mal faites et on vit avec ces équations erronées. Un film ne doit pas être fait pour 10 millions de spectateurs. Un film doit être vu par X personnes qui peuvent prendre de ce film quelque chose d’important pour leurs vies. C’est différent. Parce que entre ces millions de spectateurs il n ´y en a pas généralement, dix qui prennent du film quelque chose d’important pour leurs vies. Ils ont utilisé ce film comme un produit, comme un \"fast food\". (...) Il est important de voir que ces films américains sont la même chose qu’ un produit du Macdonald. Il n’y a aucune différence. (...) Il faut être prudent, très prudent.”
L’étude et la pratique d’un langage cinématographique est une constante sans cesse renouvelée dans son cinéma: “C´est quelque chose de fondamental pour moi de trouver des structures qui rompent avec les schémas, les concepts, la structure hégémonique des États-Unis, qui, je crois, réduisent la réalité et ne servent pas notre culture. (...). Ce refus, le facteur refus, je pense qu’il est là. Beaucoup de films sont mauvais, mais je pense que cela est présent même dans ces films qui ne sont pas bons.
Ruy Guerra a vécu dans trois continents et plusieurs pays ; étant présenté comme "un citoyen du monde". Son parcours de vie n’est pas séparé de sa production artistique, qui a été responsable de ses mouvements dans l’espace et de la continuité de ses activités dans le temps. Il se définie : “moitié africain, moitié portugais, moitié brésilien, un peu latino, un peu perdu, 100% quoi, dans ce cocktail d´angoisses»?
Chile, 2014