Depuis Sweet Hunters et les Dieux et les Morts, en 1970, aucun film de Ruy Guerra n’a été véritablement montré en France. A Queda (la chute) et Mueda, memoria e massacre, tournés au Mozambique en 1979, n’ont été projétés que quelques jours à Paris dans les festivals. Réalisé d’aprés um scénario de Gabriel Garcia Marquez, Erendira marque le grand retour de Ruy Guerra. Bizarre plutôt que baroque (le cinéaste tient beaucoup à cette distinction), inspire, superbe, Erendira devrait permettre à um grand public de découvrir l’un des plus originaux des cinéastes sud-américains. La reencontre Gabriel Garcia Marquez – Ruy Guerra est un événement. C’est la première adaptation cinématographiques de Marquez.
Ruy Guerra: Cela faisait longtemps que Marquez et moi voulions faire un film ensemble, exactement dix ans. Eredira c’est un projet que l’on avait trois ou quatre ans. Au départ, Marquez avait écrit un scénario. Mais le film a été trop long à se monter, et Marquez en a fait une nouvelle et l’a publiée.
LES NOUVELLES: Avez-vous travaillé sur le scénario avez Marquez?
R.G.: Marquez n’avait plus de scénario original, il l’avait égaré au cours des années. Il a fondu deux nouvelles en une seule. J’étais présent pendant ce travail, mais ma participation reste celle de metteur en scène, pas de scénariste. Nous avons été continuellement en contact pendant ces dix années, car nous sommes três amis, nous avons parlé de tout et de rien, mais jamais de l’adaptation d’une façon approfondie. Je lui ai posé deux ou trois questions precises et il m’a toujours répondu: “Ça, c’est pas important, tu fais ce que tu veux, et si ça ne te plaît pas, tu l’enlèves...” Il ne m’a pas beaucoup encouragé.
L.N.: Il a tout de même vu le film. Qu’est-ce que qu’il vous a dit?
R.G.: A la fin de la projection, il était très ému. Je suis sûr que pour lui, c’était un projet important. Marquez est um passionné de cinema. Il m’a pris dans ses bras et m’a dit: “C’est un très beau film, c’est très bien.” Puis deux jours après, sans avoir l’air de rien, il m’a dit: “Tu vois, le film, il a les mêmes qualités que mes livres, il est très populaire...” Je l’espère.
L.N.: Et le casting. Le rôle de la grand-mère est énorme, effrayant! Irène Papas, c’etait votre première idée?
R.G.: Dans l’histoire, on parle d’une femme énorme, que Marquez appellee une baleine blanche, avec un côté grotesque qui me plaisait. Mais je n’ai pas trouvé une comédienne qui lui corresponde physiquement. Je ne pouvais pas prendre une femme uniquement parce qu’elle était grosse, c’était un piège dans lequel je ne voulais pas tomber. C’est un réalisateur d’Antenne2 qui m’a parle d’Irene Papas et j’ai trouvé l’idée formidable. Le gros travail, ce fut les repérages, trouver le village qu’il fallait au Mexique, ni trop misérable, ni trop colonial. Le tournage a été physiquement dur, mais je me suis amusé tout le temps, je suis tombé amoureux de la fille qui joue Erendira. J’espère que ce bonheur se retrouve dans le film.
L.N.: Vous ne vous êtes pas pose de problème de style?
R.G.: Pas du tout! D’abord à cause de mon amitié avec Garcia Marquez. Je lis l’oeuvre de Marquez, je la respect, mais comme je suis son ami, le mythe ne joue pas pour mois. Je ne suis pas inconscient au point de penser que nos liens me donnent tous le droits. Mais avec le Nobel, curieusement, je crois que j’ai refuse de me poser le problème de la trahison ou de la fidélité au texte. J’ai compris que je ne pouvais pas plus, avec mon film, porter atteinte à um écrivain de cette importance. Je me suis dit: “Maintenant, je peux faire n’importe quoi, il est sauvegardé...”