En Provence du Mozambique, via l’ID.H.E.C., il débarque au Brésil pour touner l’histoire d’une jeune fille qui se crayait enceinte d’un gros poisson et qui se prenait pour la Sainte Vierge. Le scénario nous avait bien amusés mais le projet échoue.
Ruy Guerra attend plusieurs années avant d’écrire, avec Miguel Torres, Le Cheval d’Oxumare. Par amour d’un Noir, une Blanche accepte de s’initier aux rites africains du Candomblé. J’étais là-bas et j’ai vu les images : les danses forcenées jusqu’à l’oubli de soi-même, le blanc au noir mêlé dans la poussière, les longs cheveux coupés, le sang des animaux égorgés qui ruisselle sur crâne chauve de la jeune femme, les plumes de volailles qui s’y agglutinent.
Le film reste inachevé. La poésie est dans les boîtes à la disposition de qui voudra.
Avec le même Miguel Torres, il écrit Os Cafajestes. Le film va jusqu’à Berlin et, sur la plage du Midi-Minuit, le désir sert d’alibi à la constetation sociale.
Os Fuzis, c’est un vieil atavisme qu’il a longtemps portés en bandoulière. Voici le récit qu’il en faisair déjà il y a presque dix ans : des montagnards isolés demandent des armesau gouvernement pour lutter contre les loups qui dévorent leurs moutons, c’est-à-dire leur nourriture. On ne leur envoie pas des fusils, mais des soldats.
Ça devait se passer en Europe – Espagne ou Grèce – il le tourne au Brésil. Pour adapter l’histoire au pays, il fait encore appel à Miguel Torres. La logique géografique les pousse à remplacer les loups par la faim mais, dans les deux versions, les soldats s’en vont sans avoir tué ni les loups ni la faim.
Ruy Guerra a peur des bottes, des uniformes et des fusils parce qu’il les aime, comme beaucoup qui ne le disent pas. Un autre cinéaste, Robert Enrico, les vomit parce qu’il les adore, et peint la mort violente, vue par Ámbrose Bierce, dans Au coeur de la vie. Là ausse, la poésie reste en boîtes, prisonnière et inoffensive.
On se méfie des armescomme de soi-même, on rejette la violance mais on sait que la révolte est nécessaire. Dans Os Fuzis, elle serait vaine. Alors on ne tue pas les soltats, on vise à la tête, on tue le saint, on le dépèce et on le mange. Etrange communion, révolution anthropophage. Abbatez les idoles, dévorez les saints et, s’il pleut enfin, ce sera des larmes de sang, pas des médailles.
Pour ces raisons, je suis heureux d’avoir collaboré à ce scénario avec Philippe Dumarçay et Démosthène Théocart.
Pierre PELEGRI
— Parlons d’abord des Os Fuzis. Il m’a semblé que ce film comporte une exposition, une première partie assez lente, comme si elle avait été pensée après l’élaboration des scènes essentielles. J’ai retrouvé là une impression voisine de celle que m’avait procurée Os Cafajestes (La plage du désir) : in film bâti autour de quelques scènes à faire. Est-ce que je me trompe ?
— Il y a une différence . Os Cafajestes était un film destiné à contrecarrer le cinéma commercial traditionnel, mais il était essentiel d’en faire un film qui remporte un succès commercial. Il est donc réellement construit pour dex ou trois scènes, le reste n’est qu’un prétexte. Il fallait jouer le peu : érotisme et violence. La construction a été faite en fonction de ça.
Si Os Fuzis te semble avoir un peu le même aspect, c’est pour d’autres raisons. Là l’histoire existait vraiment, une histoire dramatique avec des scènes vraiment justifiées. Mais j’au dû d’abord la replacer dans un contexte brésilien, et donc y apporter un tas de modifications. Et puis Os Fuzis devait être en fait deux histoires parallèles : l’histoires des soldats, qui est restée, et l’histoire d’un paysan qui allait jusqu’à tuer le boeuf saint. Le personnage qui, au début, creuse la terre pour en extraire des racines, le type qui fabrique une petite croix devaient être le même que celui qui apporte son gosse mort, et finalement c’est lui qui tuait le boeuf. Mais l’acteur engagé n’a pas pu rester sur le lieu de tournage et comme j’avais déjà tourné une scéne avec lui, j’ai été obligé de sacrifier cette deuxième histoire. C’est , je pense, ce qui t’a donné cette impression.
— Je crois d’ailleurs que cette différence entre les scènes très lentes et les scènes très explosives, très violentes, n’a pas été tellement méditée, mais fait partie du tempérament brésilien, où les moments d’explosion surviennent après une concentration des forces.
— Oui, c’est certain. C’est vraiment dans le tempérament brésilien, surtout du Nord, où les gars sont d’une passivité totale, ou bien alors explosent. Surtout des explosions de groupe, de masse, mais parfois à l’échelon individuel. Cette lenteur et ces paroxysmes sont vraiment du pays.
— Dans cette impression lenteur de l’explosition, il y a aussi le fait que je n’ai pas compris la raison de certaines insistances. Par exemple , la procession, avec la satut du saint : on promène cette statue vraiment très longtemps à mon avis. Et il y a à ce moment-là une prière ou une litanie qui n’est pas sous-titrée.
— Je ne sais pas dans quelle mesure des sous-titres avec le texte de la chanson pourraient éclairer le sujet. En fait, le même thème est traité ici sous trois aspects. Il y a une precession vraiment « religieuse », autour de l’église por demander la pluie. Puis il y a l’aspect régional, à un niveau d’absurdité totale et de fétichisme, avec le boeuf saint qui, lui aussi, doit apporter la pluie. Enfin l’aspect populaire donné par un joueurde guitare aveugle (ce qui est typique du Nord-Est, où tous des joueurs sont aveugles) qui chante exactement le même thé,e religieux sous une forme populaire. Ce sont là les trois aspects que prena la réligion dns le Nord-Est Brésilien, pour le reste, la notion de durée, c’est des subjectif.
— Est-ce que tu pourrais nous préciser quelles on été tes difficultés de production, quelles sont les choses que tu n’as pas pu faire comme tu le voulais ? Par exemple, tu viens de parler de l’acteur qui devait jouer un rolê important de paysan.
— Les prob ;èmes sont les mêmes dans n’importe quel pays, pour n’importe quel film. On envisage un film avec un acteur donné, mais il est trop cher ou n’est pas libre. Je ne pense pas que cela joue tellement. Mais l’acteur qui devait jouer le rôle paysan dans l’histoire parallèle à celle des soldats, ça m’est arrivé dans les quinze derniers jours du tournage. J’avais tourné tout le débutdu film, et mon scénario, mes dialogues étaient déjà très structurés. Là, c’était vraiment un gros pépin, un personnage central qui n’était plus disponible. Cet acteur, Joel Barcelos, a demandé un rpix impossible pour rester quinze jours en dépassement. En fait, sa femme était enceinte, il voulait une raison de rester avec elle. Certes, c’était une justification, mais sur le moment, j’ai vu que je n’avais plus qu’une possibilité : réduire le film à l’histoire des soldats en enlevant tout le côté boeuf saint – et ça, c’était vraiment énorme par rapport à mon projet initial. Puis j’ai réfléchi et je me suis dit : si je prends un autre acteur, je nepourrai quand même pas refaire la scène avec le gosse, alors je vais traiter ça comme un docimentaire très simple, avec différents types pris dans la région même.
Et je crois que le film a gagné dans un sens, et a perdu dans un autre. A mon avis, il a gagné du fait que le personnage, tel qu’il était conçu pour traverser le film, le limitait un peu en ce sens qu’il y avait vraiment une intention trop voulue d’établir un parallèle. D’un autre côté, je crois que le film a perdu au point de vue compréhension : il n’y avait pas déjà une vraie ligne dramatique dans l’histoiredu boeuf saint, donc cette histoire est devenue encore plus floue.
— Oui, la révolte finale des gens qui d’un seul coup massacrent le boeuf saint est un peu surprennante.
— Oui, la fin est un peu inattendue. Moi, personnellement, j’avoue qu’aujourd’hui je préfère la chose vue comme cela, de loin. Je crois que tels imprévus parfois portent préjudiceet parfois favorisent. J’aime mieux le film comme ça, mais je comprends que les gens soient déroutés par la partie initiale. D’ailleurs, j’avais fait un premier montage où j’essayais de faire démarrer l’action beaucoup plus tôt et de mettre certains éléments de cette permièrepartie plus tard. Mais ça n’allait pas non plus. Finalement, il n’y a rien de changé du point de vue du déroulement de l’action. Mais il aurait dû y avoir en plus une scène que j’avais déjà tournée avec Joel Barcelos, dans l’église. C’était un scène où il regardait des enluminurs, des ex-voto apposés en reconnaissance des miracles accomplis. Je n’ai pas pu la monter.
— Mais Os Fuzis, ou plutôt Les Fusils, c’est un scènario auquel tu travaillais déjà en 1953 ou 54.
— Oui, mais c´était uniquement l´histoire des soldats. Il n’y avait pas encore d´histoire parallèle, le contexte était entièrent. La situation était bien la même, des soldats face à un danger, mais ce danger n’était pas le même : c’était les loups. En principe, cela devait se passer en Grèce, dans petit village où il n’y a plus d’armes, faute de pouvoir en acheter à nouveau, parce qu’à la suite d’une révolution, quinze années plus tôt, elles on été consfisquées aux paysans. Les armes ont pris un sens mytique, car tous les ans, avec l’hiver, les loups descendent des montagnes pour revager les troupeaux de moutons, et il faut se défendre avec des pics, des haches. Par l’intermédiaire d’un prêtre, les paysans font une demande d’armes , mais elles ne viennent pas. Et l’hiver suivant, quand ils ne les attendent plus, c’est un petit détachement de soldats qui arrive. Les loups jouaient un rôle très abstrait ; on ne les voyait jamais, mais on les entendait tout au long du film, et ils conditionnaient le comportement des soldats. Ces gens de la ville leur attribuaient une dimension mytique, mais eux-mêmes, avec leurs armes, avaient introduit un mythe parmi soldats finissaient par partir. Quand ils étaient partis, les loups decendaient pour attaquer les troupeaux de moutons. Et les paysans se retrouvaient dans une situation pire qu’au départ. Voilá l’histoire originale.
— Donc, quand tu l’as conçue, elle n’avait aucun rapport avec le Brésil.
— Aucun.
— Et quand tu en as fait la transposition, tu as cherché à remplacer les éléments grecs par des éléments...
— Non. D’ailleurs, je n’avais jamais pensé touner Les Fusils au Brésil, je trouvais que c’était une histoire étrangère au Brésil. Puis, un jour, je ne sais pas commentr, j’en suis venu au problème de l’exode provoqué par la faim dans le Nord-Est. Et parce qu’il avait eu des incidents causés par la famine , je me suis dit que les affamés c’étaient des loups bien plus intéressants que les vrais, parce que ce n’étaient pas de loups méchants, mais des loups qui avaient d’excellentes raisons de venir ravager les provisions. Evidemment, cela m’obligeait à changer beaucoup de choses.
— Tu avais commencé à nous parler de tes difficultés de tournage.
— Elles on été énormes, parce que , chaque fois qu’on veut faire un film sur la sécheresse, il pleut...
— C’est pet-être toi le vrai boeuf saint...
— Déjà, quand Nelson Pereira dos Santos a voulu touner Vidas Secas, en 1962, il y a eu un vrai déluge, quatre on cinq jours avant qu’il ne commence son film. Dès qu’une caméra arrive dans cette région, il commence à pleuvoir, on ne sait pas porquoi. La même année, quand j’y suis venu en repérage, depuis cind ans il n’avait pas plu. Je rentre à Rio pour faire les derniers préparatifs, et voilà qu’il commence à pleuvoir à Milagres, le village que j’avais choisi. Alors je monte plus au nord en jeep, avec le directeur de production et Miguel Torres – qui devait être mon assistant. Là où nous passions, il commeçait à pleuvoir. On arrivait, et chaque fois on demandait aux gens : « Depuis combien de temps il ne pleut pas ici? – Depuis six ans » Et il se mettait à pleuvoir. Finalement, cela a retardé d’une année le début du tournage.
L’année suivante on s’est dit : « Comme il a plu l’année dernière, il ne va pas pleuvoir cette année, c’est certain. » Et alors j’ai preparé mon film sur place, dans le Nord-Est, pendant en principe trois mois. J’ai tourné d’abord les interieurs, avec le plus possible d’extérieurs aperçus à travers les fenêtres et les portes. Ç’aurait été vraiment inutile d’aller si loin pour montrer des pans de murs, même si ces murs étaient très beaux.
Mais il y avait une chose que je ne savais pas, qu’on ne sous avait pas dite. C´est sombrés : on avait tout le temps l’impression que n’avait preuvoir. Faire un non sut la sécheresse avec de gros nuages noirs, ce n’était pas donner l’image de la sécheresse. Donc très souvent, alors que je savais qu’il n’allait pas pleuvoir, j’avais des nuages, et il fallait attendre qu’ils s’en aillent. Il y avait peu d’arbres sur la place du village, mais il portaient des feuilles que j’étais obligé d’arracher. Je commençais à touner une scène, eh bien, trois heures après, il y avait de nouveau des feuilles trop apparents qu’il fallait enlever. Tout ça nous a donné un rythme de tournage assez lent, d’autant que por de telles conditions mon équipe n’était pas assez nombreuse.
— Il y a poutant les produits Jonhson pour la défoliation.
— A côté de ça, j’ai eu des problèmes de figuration. On était dans une région où il y a vait très peu de gens. Et pour les scènes où il fallait donner une impression de masse, il fallait mobiliser jusqu’à quatre ans cents figurants. On arrivait à en recruter deux cents sur place, les gens du village et des alentours, mais les autres deux cents, il fallait aller les chercher plus loin, dans des fazendas. Quelquefois, quand ils arrivaient, c’était déjà trop tard, parce qu’à parti de trois heures de l’après-midi l’ombre de la montagne voisine envahissait tout le village. A partir de trois heures, trois heures et demie au plus tard, on ne pouvait plus touner. Et comme le matin, trés souvent, le ciel commençait à s’éclaircir seulement vers neuf heures, les journées étaient très, très courtes. En plus, notre groupe électrogène est tombé en panne, il a fallu aller en chercher un autre à quatre cents kilomètres de là ; le plan de travail s’en est trouvé bouleversé.
Enfin, au bout de deux mois, on a commencé à tous tomber malades. Leonides Bayer qui joue le rôle du sergent, a attrapé des amibes, il a mis une année à s’en remettre. Au bout d’un certain temps, Ricardo Aronovitch, le chef-opérateur, a eu les nerfs complètement détraqués. Moi, j’ai fait une espèce d’allergir, ça me démangeait de partout, j’étais tout rouge ; pendant trois jours, je n’ai pas pu tourner. Il y avait toujours quelqu’un de malade. Les deux premières semaines de tournage, on a abattu le travail prévu pour trois. C’était comme si on allait faifre le film en deux mois au lieu de trois, puis on a commencé à perdre de la vitesse.
— Le film a bien été tourné au même moment que Le Dieu Noir et le Diable Blond en 1963 ?
— Oui, pratiquement en même temps. Je suis parti en tournage une semaine avant Glauber Rocha, je crois. D’ailleurs, c’est Le Dieu Noir et Le Diable Bond qui a retardé la finition de mon film. Je n’ai pu rentrer à Rio que trois semaines après Glauber. Il occupait déjà la salle de montage avec la seule bonne Maviola qu’on ne payait pas. J’ai été obligé d’attendre qu’il finisse de monter son film, puis d’attendre qu’il finisse son doublage, etc. Comme il était toujours en avance sur moi, j’étais toujours en train d’attendre. J’ai mis d’octobre 1963 à juin ou juillet 1964, je crois, pour faire mon film.
— Vidas Secas, aussi, a été tourné à peu près au même moment?
— Vidas Secas avait été tourné à la fin de l’année précedente, quand moi je fuyaisla pluie. C’est Miguel Torres qui aurait dû jouer la rôle d’Atila dans Vidas Secas, mais il a voulu participer à Os Fuzis : il devait être mon assistant.
— Ton film lui est dédié. Que lui est-il arrivé?
— On a eu un accident de jeep, lui, le directeur de production et moi, Je conduisais on a dérapé, il a pris un coup avec le siège, il a eu le bassin fracturé, il est mort aussitôt. C’était le 31 décembre 1962. Ça a été une fin d’année terrible. En cherchant un lieu de tournage plus au nord que Milagres, nous étions justement passés à Palmeira dos Indios oùNelson Pereira dos Santos était en train de tourner Vidas Secas avec Luiz Barreto. Nelson est revenu de Palmeira dos Indios pour l’enterrement de Miguel.
— Tu nous disais tout à l’heure que les figurants d’Os Fuzis étaient des villageois.
— Oui, tous.
— Et pendant des mois, ils sont venus tous les jours?
— Oui, c’est une région où les gens n’ont rien à faire. Milagres c’est très spécial, Milagres, ça veut dire miracle. C’est la deuxième ville du Sertão où on vient tous les ans en pèlerinage. C’est une des raisons pour lesquelles je l’ai choisie. Il y a là une grotte où se produisent soi-disant des apparitions, et il s’est établi une sorte de commerce. Il y a une petite bourgeoisie locale qui vit en louant ses maisons, vides le reste de l’année, aux pèlerins. Ces gens-là n’ont pas grand chose à faire. Les autres travaillent dans les champs. Mias, comme l’année de mon tournage marquait le début d’une nouvelle sécheresse, j’ai vu arriver des types qui se repliaient sur le sud du Sertão. Ils sont extraordinaires, ces types-là : vous leur donnez une position, ils la gardent cinq heures. Pas encore, qu’ils sont bêtes, ils comprennent très bien ce que c’est que la caméra. Mais pendant que l’équipe se détendait en attendant que le soleil chasse les nuages, ils restaient sur place à ne rien faire.
Ils ont vraiment une résistance incroyable. Un jour, pendant le tournage de la scène du démontage des fusils, je repère un type qui ne tenait pas sa place, toujours en train de se balader, de se déplacer.Et, tout à coup, il tombe, il tombe par terre, parce qu’il n’avait pas mangé depuis cinq ou six jours...Pour payer ces gens, nous recevions l’argent d’une banque de Rio qui l’envoyait à Salvador, qui l’ envoyait à Feira de Santana, à deux cents kilomètres de Milagres ; ça prenait du temps pour arriver.On avait imaginé un système de bons avec lesquels on réglait les types chaque semaine, amis ils ne pouvaient pas tenir jusqu’à ce qu’on leur rembourse leurs petits papiers, ils ne pouvaient pas manger. Il y a eu un type qui a mis au point un sustéme de spéculation, on achetant tout de suite les bons à moitié prix...
— Est-ce que les villageois connaissaient le scènario?
— Non, on ne leur a rien raconté. Je me demandais même comment ils allaient réagir à l’histoire du boeuf saint, car c’est un endroit très particulier, Milagres. Il y avait bien eu un boeuf saint, mais en 1924, et beaucoup plus nord.Eh bien, jamais le moindre étonnement, ils ont trouvé ça tout fait normal. Il y en a même qui se sont pris au jeu, et, tout en sachant que c’était un film, ont commencé à croire au bouef. Ils le rspectaient beaucoup.
— Et comment ontíls réagi quand on l’a tué?
— Très simplesment. Une fois le boeuf tué, c’était de la viande. On leur a dit : « Jettez vous là-dessus! » Ils se sont jetés dessus avec une telle violence qu’il a fallu les retenir un peu. Il a été découpé. Je ne sais pas, moi, en quinze ou vingt minutes, tout entier.
— Justement, il y a certaines scènes qui dommemt l’impression du reportage. Par exemple quand le vieux au nez fendu parle du « Conselheiro », du « Conseiller », quand les paysans racontent spontanément ce qui s’est passé, quand la vieille femme parle de Vargas.
— La vieille femme raconten vraiment. J’avais parlé avec elle, je lui avais posé des questions. Et j’ai réussi à touner le 24 août, le jour anniversaire de la mort du président Getulio « Aujord’hui, on est le combien? », on n’a pas eu besoin de lui donner de texte, c’est elle qui l’a fait. Mias pour les ajutres, aussi sien le vieux au nez cassé ou le vieillard qui parle après la mort de Gaucho, j’ai été obligé de faire des textes. Bien que les types de cette région aient entendu parler de Canudos, ils ne l’ont pas vécu et n’ont rien à dire dessus. On leur a soufflé les textes qu’ils répètent dimplement.
— Mais á quoise réfèrent-ils exactement ?
— A Canudos en 1896 et 1897, il y a eu quatre exoéditions. Trois ont échoué. La troisième avait amené dix-huit cents hommes sous le commandement de Moreira César, qui était le grand général du Sud, le grand bonhomme des « Gauchos », le plus haut militaire de la République. Il a eu cette phrase célèbre : « On va déjeuner à Canudos. » Il y est allé et ses hommes on été tués jusqu’au dernier. Alors il y a eu une quatrième expédition avec, je crois, dix-huit cents ou deux mille hommes, commandés par Bettancourt. Les gueux qui étaient là ne pouvaient plus soutenir un siège, ils savaient perdus et ont parlementé : « On se rend à condition que vous laissiez partir les femmes et les enfants. » Bettancourt a dit : « D’accord. » Ils ont fait sortir les femmes et les enfants, puis ont dit : « Nous, maintenant, les hommes, on reste ici. » Ils ont été tués jusqu’au dernier.
— C’était une sorte de ligue, d’organisation paysanne ?
— Non, non, pas du tout. Ce n’était pas une ligue. Les derniers à mourir ont vraiment été un vieillard, deux hommes et un gosse de seize ans. Ces types n’ont pas abandonné, ils ont été extermonés jusqu’au dernier. Ils avaient suivi Conselheiro, un « beato » qui annonçait la fin de ces temps amers et promettait le paradis. Avec tous ces gens derrière lui, il a commencé à faire la loi.
— Mais alors qu’il a eu une influence telle qu’il a menancé la République, dans Os Fuzis, les prophétes paraissent être les apôtres de la résignation.
— Oui, mais c’est une tout autre époque, trente ans après. Et le « beato » d’Os Fuzis est quand même le seul des gens du pays à être violent. On voulait que je lui fasse dire un texte très joli avec une voix très belle. J’ai dit non. On essaie toujours de limiter ça à un point de vue très mystique, mais ces type-là, les « beatos », sont les seuls qui répresentent vraiment la violance dans le Nord-Est. Avec Cangaceiros.
— El Gaucho.
— Gaucho, c’est entièrement différent. C’est ancien militaire, et surtout ce n’est pas quelqu’un de la région. Il y a là une chose qui risque d’échapper au public étranger, et mêmeau public brésilien qui ne connaît pas le Nord-Est, c’est qu’il existe deux modes de vie différents : celui du littoral, région de grande propriété, de terres riches, et celui, tout autres, de l’intérieur, de la « catinga », du « sertão ». Les soldats ont un comportement particulier parce que ce sont des types du littoral ; il y avait déjà cela dans le premiers scènario avec les loups ; mais sous un autre aspect. Ce sont des types mis en contact avec une réalité nouvelle, obligés de reformuler les choses en fonction d’une culture qu’ils ignoraient, même si cela se passe seulement à l’échelon réduit de leurs problèmes personnels. C’est ce nouveau contact qui change leur comportement. Gaucho aussi est un type d’un autre monde, un type du littoral. C’est un aristocrate, ce chauffeur de camion.
— Il y a tout de même des notions élémentaires de justice sociale. C’est lui qui se révolte à la fin.
— Oui et non. Il n’aurait pas fait cela s’il n’avait pas commencé lui aussi à subir, à être atteint. Son camion ne marche plus, il n’a plus d’argent, plus de crédit. C’est comme cela qu’il commence à se rapprocher de la masse, même s’il est moins atteint qu’elle. Il cherche à résoudre son problème personnel, mais il pleut établir un lieu avec les autres. Avant, il s’en foutait un peu, son problème, c’était ses relations avec Mario. Avant, c’était le démerdard, le type qui escroquait les chômeurs. Après, il commence lui aussi à être atteint.
— Ces précisions que tu viens de donner, cette opposition entre les soldats, gens d’un Pys riche, et les habitants du pays pauvre et très différent où ils sont arrivés, c’est celle des Milanais ou des Piémontais, et des Siciliens. Cela fait à Salvatore Giuliano.
— Les critiques ont beaucoup parlé de Salvatore Giuliano à propos de mon film, en effet.
— La, il y a une chose (----------------------------------------------------------) le film vraiment aujourd’hui, et j’ai mis au générique la date du tournage : « Nord-Est 1963. » Je regrette de ne pas avoir mis : « Nord-Est aujord’hui », car c’est aujourd’hui que cela se passe, et cela risque de se passer ainsi longtemps encore, je le crains.
— La région où tu as touné estélle celle des lingues paysannes, des ligues de Juliao ?
— Non, les ligues étaient beaucoup plus au nord. Il n’y en a pas eu dans cette région. Les ligues, c’était en 1960. Moi, j’ai tourné plus tard, j’ai commencé mon film sous le gouvernement. Goulart, et je l’ai terminé après le coup d’Etat, la « Révolution ». J’étais au montage quand il y a eu le coup d’Etat, j’ai caché les bobines parce que je ne savais pas ce qui allait arriver, si le film passerait. En fait, il a été très mal accueilli, mais pas par les militaires, pas par la droite. Par les intellectuels de gauche, et ça dès le départ. J’avais fait une lecture publique du scènario avec les gens du « Théâtre d’Art » de São-Paulo. Parce que, dans les débuts du Cinema Novo, on se réunissait, on discutait, on allait voir les films en cours de montage ; c’était très ouvert. On m’avait reproché beaucoup de choses, et surtout, parce que l’armée brésilienne, jusqu’alors, avait été, par tradition, légaliste, d’attaquer un des bastions de la légalité ; ´resque d’agir dans un sens sontre-révolutionnaire. J’avais répondu : « L’armée, c’est toujours pareil. L’armée du peuple, bien sûr, ça existe.Mais dans le contexte actuel, nous avons une armée policière. »
— Mais alors, pourquoi te fait-on dire dans Cinéma 67 : « Mon film n’a aucune intention politique, etc. » ? (n°113, p. 44).
— Quand j’ai lu ça, j’ai trouvé ça malheureux, parce que ça a été séparé du contexte. Or pendant que je montais mon film, pendant le coup d’Etat, il y avait dans les rues de Rio une partie de l’armée qu’on saluait, qui passait pour l’armée de peuple : la troisième armée reniée par Castelo Branco, la deuxième armée restée indépendante. Les soldats, eux, (----------------------------------------------------------) « révolutionnaires » . Et mon film fini, les intellectuels de gauche n’ont pas voulu admettre qu’il correspondait à cette idée de l’armée fidèle d’abord à elle-même. Parce qu’aujourd’hui encore , au sein de l’armée, il y a des positins différentes, c’est tout juste s’ils n’ont pas consideré que, sur le plan politique, mon film était réactionnaire. Et quand je l’ai présenté pout la premièrefois, ils l’ont éreinté complètement.
— A ces propos, justement, comment te situes-tu à l’interieur du Cinema Novo ? Quand Robert Benayoun était à Rio, on commençait toujours par dire quand on lui parlait de toi (qu’on en dise du bien ou du mal) : « Ah ! mais Ruy Guerra n’est pas Brésilien ! »Le fait que tu viennes du Mozambique a-t-il joué un rôle dans jugement que tu as porté sur le Brésil et, au sein du Cinema Novo, n’as-tu quand même pas été un peu à part ? Sais-tu, par exemple, qu’à l’époque du Festival du Cinema Novo á Gênes, Capdenac a écrit dans Les Lettres Française quelque chose comme : «Un noir du Mozambique, Ruy Guerra » ?
— Ce n’est pas par hasard que j’ai atteri au Brésil. Le hasard, ç’aurait été que j’atterisse en Chine. Mais on ne peut pas faire de films au Mozambique où il n’y a pas de cinéma. Et je ne peux pas en faire non plus au Portugal, parce que lá-bas je suis condamné à la prision et qu’il n’y a pas non plus de cinéma...
— Il y a se Souza Oliveira Ramos...
— Il y a Paulo Rocha qui est quelqu’un de très bien, il y a Fernando Lopes qui a fait un film très intéressant, Belarmino, mais à mon avis, il n’y a pas les conditions, pour faire vraiment du cinéma. Et puis le Portugal, pour moi, c’est un pays très différent du Mozambique. Le Mozambique est un pays tropical, de langue portugaise, une colonie. Il a le même climat, les mêmes fruits, le même mélange de blancs et de noirs que le Brésil. Mais le Brésil, ancienne colonnie, a tout cela à une échelle moderne, actuelle, nationale. Tandis qu’au Mozambique, quand je suis allé en prision à dix-huit ans pour action séparatiste, il semblait n’y avoir aucune possibilité d’avenir (aujourd’hui, c’est différent). Alors, au Brésil, je me suis vraiment sentil comme chez moi. De plus, quand, j’étais jeune, au Mozambique, la littérature qu’on lisait, c’ était la littérature brésilienne, et non la littérature portugaisequi présente une réalité trop différante. Et la musique. Un jour, au Brésil, un type a commencéà jouer à la guitare de vieilles sambas. Je les connaissais toutes, depuis l’âge de huit ans.
Et pourtant...Bien que le Brésil soit un pays d’immigration, donc très ouvert bien que le succès populaire et de critique de Os Cafajestes ait apporté la possibilité concrète de faire un cinéma différent, et parce que l’Armée, l’Eglise, Lacerda sont intervenus pour retirer ce film « scandaleux » de l’affiche, je me suis retrouvé un peu seul. Seul à ne pas avoir accès aux conférences organisées dans l’enceinte de l’Université Catholique de Droit, par exemple. Nopus formions quand même un groupe très uni, mais aprés il y eu des probèmes au sein du groupe. Pas parce que j’[etais Mozambiquais – personne n’est raciste. Mias enfin, qaundon se met à ne pas aimer un type, s’il est noir, on dir : « Sale nègre ! »
— Alors, tu es bien un noir du Mozambique. Mais que veut dire exactement Os Cafasjestes ?
— C’est difficile à traduire. Il existait à Rio un groupe formé par des aviateurs, un millionnaire, des gens très aisés qui n’avaient pas vraiment accès à l’aristocratie. C’étaient de beaux gars qui réussissaient à coucher avec les femmes de la haute société, mais n’étaient pas admis entièrement dans cette haute société contre laquelle ils réagissaient par un comportement d’agressivité. Le comportement « cafajeste » c’est le comportement de quelqu’un qui se conduit comme un voyou, pas comme un voleur, qui n’a pas de orale, est un peu goujat, un mufle. Et avec un côté très anarchiste aussi. Traiter quelqu’un de « cafajeste », c’est une insulte.
— Et à l’époque d’Os Cafajestes, le Cinema Novo c’était vraiment un groupe ?
— Oui, un groupe qui s’est constitué vers 1961-62, et qui existe toujours, même si je suis un peu à l’écart. Au départ, il y avait avec moi à Rio, Nelson Pereira dos Santos, Miguel Torres e Glauber Rocha, venus á Bahia où il y avait un mouvement régional autour de Roberto Pines. Puis sont venus bous rejoindre très vite Paolo-Cesar Saraceni, Joaquim Pedro, Leon Hirschman, Carlos Diegues. Puis d’autres encore. C’était nous qui avions fait des longs-métrages qui étions le plus en évidence et formions le noyau. C’était vraiment un groupe : Nelson a monté Barravento de Glauber, j’ai monté Escola de Samba, le sketch de Diegues moi avons été en froid, pendant presque deux ans
— Dans son livre Revisão critica do cinema Brasileiro, Glauber dit à peu près que dans ton premier film tu n’as pas très bien saisi la reálité sociale du Brésil.Et dans ton second un peu mieux.
— Dans ce genre de groupes, il ya deux comportements possibles : ou touner les difficultés par un jeu politique, ou devenir agressif. Moi j’ai pris le parti de l’agressivité par tempérament. Le conflit le plus grave a eu pour les conditions économique du ciné,a brésilien. Une loi de l’Etat de Guanabara (l’Etat de Rio) prévoyait pour les taxes sur les spectacles qu’une moitié allait et l’autre au cinéma. Mais sans préciser commentni à quel secteur du cinéma : studios, production, etc. Le gouverneur Lacerda petait vraimentcontre le Cinema Novo, mais ne pouvait guère empêcher une partie de l’argent prélevé grâce à cette loi d’aller au Cinema Novo. Nous réclamions que l’on donne de façon automatique, sans discrimination, à chaque film 15% ou même 20% de la recette qu’il faisait surr le marché de Rio. Ça nous était égal que l’on aide le film le plus mauvais, ou le plus réactionnaire. Nous savions que sur notre lancée. Nous pourrions l’emporter sur les autres productions. Mais Lacerda a voulu faire quelque chose d’entièrement différent, distribuer des primes variables, et a gi de façon très intelligente. Sans se référer à des critères précis et avoués, il a attrbué d’énormes primes aux films du Cinema Novo : Vidas Secas, Garincha, etc.
Tout le monde ou presque a reçu de l’argent . J’ai pris ussitôt positin contre ce syséme, qui était le système du cinéma espagnol, du film d’intérêt national. J’aurais voulu que nouslancions tous une campagne de presse contre cette façon de décerner des prix sans critères, cette espèce de subornation, d’achat. Les autres n’ont pas été d’accord. J’ai fait un peu cavalier seul, j’ai donné des interviews contre ce systéme de primes. Aujourd’hui, les prix sont distribués absolument comme bon semble à ceux qui les décernent sans aucun critière. Et le Cinema Novo n’en est pas plus avancé, sauf pour les quelques films qui ont pu sur le moment, et c’était très bien, s’en sortit ainsi financièrement. Mais moi je me suis retrouvé è l’écart : Ruy Guerra était trés agressif er très radical.
— Je voudrais que tu nous expliques pourquoi tu disais tout á l’heure que Os Cafajestes avait joué un rôle important lors du démarrage du Cinema Novo.
— C’est le premier film Cinema Novo, je ne dis pas du point d vue esprit ou intention, mais du point de vue économique. C’est le premier film qui a fait sauter le barrage : au quatrième jour d’exploitation, il était déjà em train de battre tous les records de recettes. Avant le succès d’Os Cafajestes, au Brésil on ne pouvait même pas faire un film policier. Tout était comédies et films de cha-cha-cha. Lima Barreto avait fait O Cangaceiro dans le cadre de la campagnie Vera Cruz, mais n’a pas pu faire d’autres films sur le « cangaço » avant le succès d’Os Cafajestes. Même un bon policier comme Mulheres e Milhões, de Jorge Ileli, n’avait pas eu de succés.
— Os Cafajestes a été fait avant ou après O Pagador de Promesa (La Parole Donnée) d’Anselmo Pasquale Duarte ?
— Les deux films ont été présentés pour la sélection dans les festivals en même temps. Le mien a été choisi pour Berlin, celui de Duarte pour Cannes. Alex Viany a appelé Jour J du cinéma brésilien le jour où à l’Intitut du Cinéma Educatif Anselmo et moi avons présenténos films au public. Anselmo avait voulu faire commerciale, mais son film a très mal marché au Brésil, même au point de vue critique. Tadis que pour Os Cafajestes le succés a pris des proportions inimaginables, dementielles, que le film ne méritait tout de même pas.
— Alors comment explique-tu ces succès ?
— A ce moment-là, au Brésil le sentiment national était très fort. Et le cinéma restait en arrière. N’importe quel fim traitant quel problème national aurait catalysé ce sentiment, ce besoin d’un cinéma national. Puis Os Cafajestes vait aussi des atouts d’ordrecommercial, l’érotisme par exemple. Et également un côté européem « nouvelle vague » dans la mise en page ; un côté produit bien fabriqué, déroutabt mais qui laissait peu de prises aux gens qui auraient pu être contre. Mais je crois que le succès di film est surtout dû á ce besoin que l’on ressentait d’un cinéma national.
— Tu nous disais à l’heure que l’Eglise, Lacerda avaient attaqué Os Cafajestes.
— Le cardinal à Rio a appelé plus d’un milier de paroisses à se prononcer contre le film. Dix jours après sa sortie, en dépit de la réglementation, Lacerda a fait saisir la copie au cours d’une projection. L’actrice principale, Norma Bengell, devait touner l’an dernierun film de Sergio Ricardo, un film très éloigné de l’érotisme d’Os Cafagestes, Á Minas, les bastion de la réaction, le point de départ du coup d’Etat. Les demmes de cette ville qui ont participé à la « Révolution » se sont groupées pour déclarer : « Si elle vient, on la batra, à cause d’ps Cafajestes. »
— Tu nous a dit aussi que Os Fuzis avait été mal accueilli par une parie de la gauche. Mais les milieux de droite ont bien dû réagir contre le film.
— Après le coup d’Etat, je me suis dit : «Os Fuzis ne passera jamais ». Puis j’ai pensé que la seule chance de le faire admettre au Brésil, c’était de le faire d’abord connaître à l’étranger. La commission de sélectiom pour les Festivals, elle, n’avait pas été modifiée et n’exigeait pas que les films aient déjà leur visa de censure. J’ai présenté mon film avant mixage – ce qui n’était peut-être pas très rpeglementaire – et il a été sélectionné à i’unanimité. Mais voilà que s’est mis à courir le bruit qu’un cinéaste brésilien avait déclaré pendant le Festival de Cannes 1964 que le nouveau gouvernement était une dictature. Alors le Comité de Sécurité de l’Etat, composé de militaires, a demandé à voir tous le films qui devaient représenter le Brésil á l’étranger. J’ai cru que tout était foutu, parce que j’avais escompté qu’à son retour, même non primé, mon film serait protégé contre le censure par le fait qu’il avait représenté le Brésil. Os Fuzis, mixé, a donc été présenté devant ces militaires, dont quatre généraux. A la fin de la projection – je n’y étais pas mais mon producteur y était – silence, un silence inquiétant.Il aurait suffi que quelqu’un dise : « C’est in film communiste », c’était foutu. Et lá, coup de pot, il y a un militaire qui s’est levé et a dit : « C’est un film de mâle. » Personne n’a osé dire le contraire, le débat était faussé dès le départ. Ils on laissé partir le film pour Berlin. C’était le premier film sélectionné pour représenter le Brésil après le coup d’Etat...
— Mais, en fait, comment fonctionne la censure brésilienne ?
— Il y a une censure fédérale qui siégeait à Rio, et maintenant à Brasilia. Et puis il y a les censures des Etats officieuses ou officielles. Lacerda était un censeur acharné. Il a friné lçe plus possible le transfert de la censure fédérale de Rio à Brasilia, pour garder un oeil dessus. Sachant qu’en dernier ressort ce sont les Etats qui décident, l censure fédérale accorde presque toujours son visa. Aprés il faut se battre Etat par Etat. Les alliances politiques, électorales rendent les gouverneurs ou libéraux. C’est ainsi que le successeurde Lacerda, Negroa de Lima est actuellement libéral sur ce plan. Avec ce genre de jeu, il y a des Etats où on ne peut guère passer de films, mais on a toujours à peu près la possibilité de passer un film donné dans la moitié du Brésil. Qaund Lacerda a interdit Os Cafafestes, de Rio on allait facilement le voir hors de l’Etat de Guanabara, en traversant simplement la baie. J’estime que c’est mieux d’avoir beaucoup de censures plutôt qu’une seule. Parce qu’avec une seule...
— Et où en est actuellement le Cinema Novo ? On a dit que le nouveau gouvernement allait à la fois l’utiliser et le soutenir.
— Je ne sais pas très bien, parce que je suis parti du Brésildepuis plusieurs mois déjà, quand Castelo Branco était encore au pouvoir. Je ne pense pas le nouveau gouvernement prenne pour politique de favoriser le cinéma. Tout au plus saura-t-il admettre certains films, si on arrive à faire les faire... Mais une aide au cinéma brésilien, je crois pas. Ces gens-là ne premmemt pas tellement au sérieux le cinéma, sauf lorsqu’ils se retouvent devant un fait accompli, un film fait. Et des films s’élevant contre la situation actuelle, ayant des implications politique, je crois que cela restera limité à deux ou trois par an.
— Ces films seront ceux du Cinema Novo.
— Oui. Le Cinema Novo, ce n’est pas le Néo-Réalisme, ce n’est pas un mouvement artistique, une esthétique. Cela relève, plus que d’autre chose, d’une prise de positin politique dans un contexte national. Les films d’avant le Cinema Novo, les films de la Vera-Cruz partaient d’un propos artistique. C’étaient des films intimiste, psychologiques, qui ignoraient les problèmes du pays, les problèmes économiques, les problèmes de masse. Ils ne concernaient que petits mondes. C’était le cinéma de la petite bourgeoisie. Avec bien sûr quelques exceptions, mais perdues dans le tas.
Aprés avoir, pour l’O.R.T.F., collaboré aux Carnets de Voyage au Brésil, de Pierre Kast. Ruy Guerra tourne actuellement Vocabulaire, épisode de fiction dans le cadre d’un film sur le Vietnam auquel participent par ailleurs Resnais, Varda, Godard, Klein, Lelouch, Reichenbach, Ivens et coordonné par Chris Marker.